Le livret d’ouvrier, arme contre les ouvriers

Le livret d’ouvrier, arme contre les ouvriers

Le XIXème siècle – dont on peut mettre le point de départ à Waterloo en 1815 et la fin avec l’attentat de Sarajevo en 1914 – n’a pas été tendre envers la population ouvrière.

Pour mémoire, il faut se souvenir que la loi Le Chapelier de 1791 a deux interdits : la grève et les «corps intermédiaires», ce qui rend impossible la création de syndicats pour remplacer les défuntes corporations. Il faudra attendre le Second Empire pour que la grève soit de nouveau autorisée avec la loi Ollivier du 25 mai 1864. Il faudra attendre 20 ans de plus pour que les syndicats soient autorisés avec la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884.

Maintenant que le cadre est mis, parlons d’un outil employé comme une arme contre le méchant ouvrier. C’est le livret d’ouvrier instauré en 1803 sous le Consulat, avant d’être généralisé par Napoléon sous le Premier Empire.

Un outil aux racines anciennes

On serait tenté de croire que Napoléon alors Premier Consul sort le livret comme un magicien sort un lapin de son chapeau. Il n’en est rien.

C’est sous l’Ancien Régime au début des années 1780 qu’est proposé un premier livret où sont inscrites les dates d’arrivées et de départs d’un ouvrier lors de sa vie active. Il est aboli sous la révolution.

Comme le livret «moderne», le livret est un peu «un mouchard» pour ne pas dire une forme de casier judiciaire de l’ouvrier dont on se méfie. Avec le livret instauré par Napoléon encore consul avec la loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803), le livret est déposé chez l’employeur à l’arrivée de l’ouvrier.

Ce dernier ne le récupère qu’à la fin de sa période dans l’entreprise. Autant dire que c’est un moyen de pression et de flicage de l’ouvrier. De plus, tout ouvrier qui n’a pas son livret sur lui durant un déplacement est considéré comme étant un vagabond avec les conséquences que cela entraîne.

L’ouvrier est tenu de faire noter son dernier congé par le maire de sa commune de départ en indiquant son lieu d’arrivée.

Autant dire que l’ouvrier est «tenu en laisse» comme un chien. Je sais, l’image n’est pas belle, mais c’est la réalité. Il suffit de relire «Germinal» d’Émile Zola pour se souvenir de comment sont traités les mineurs de fond.

Un outil qui tomba lentement mais sûrement en désuétude.

Il y a un assouplissement en 1854 avec une loi datée du 22 juin de cette année et l’ouvrier peut conserver le livret avec lui, même s’il travaille pour une entreprise donnée. Ce qui rééquilibre légèrement la situation. Mais le livret existe toujours avec ses principes de «flicage» de l’ouvrier.

Bien que le retour du droit de grève et le retour des syndicats soient actés, le livret continue d’être produit et distribué. Ce n’est qu’à partir de 1890 qu’il est abandonné même si on trouve encore ses traces jusqu’en 1908.