L’autre face de la « Nuit du 4 août »
Il est de tradition dans le cadre d’un roman national forgé par la bourgeoisie de célébrer la nuit du 4 août comme celle où l’égalité aurait été enfin introduite entre tous les citoyens par l’abolition des privilèges, privilèges qui pour l’occasion adopte une nouvelle définition, désormais devenue l’acception courante du mot, à savoir des avantages exorbitants accordés à telle ou telle catégorie d’individus indûment favorisés…
Or, cette définition n’est nullement conforme à ce qui était dans son ensemble le sens accordé au mot privilège dans le droit de l’ancien régime. Ce mot vient du Latin « Priva Lex », littéralement loi privée et plus précisément loi adaptée au statut de tel ou tel groupe d’individus, théoriquement au nom du principe d’équité.
S’il est parfaitement établi qu’au moment de la Révolution française le pacte féodal était depuis longtemps rompu, tant par la haute noblesse – qui ne payait plus l’« impôt du sang » (je te protège, tu me nourris) – que par le haut clergé – qui s’enrichissait honteusement sur le dos de la population en ne laissant, qui plus est, que la mince portion congrue aux curés, seuls à tenir réellement le rôle social et spirituel dévolu à l’Église, annulant ainsi toute justification et toute équité aux exemptions fiscales et aux divers droits spécifiques qui leurs étaient accordés et justifiant la disparition des dispositions particulières afférentes (qualifiables à bon droit de « privilèges excessifs »). Ce qui constitue la partie positive – et la seule mise en avant par le roman national bourgeois – de l’« abolition des privilèges » la nuit du 4 août 1789 ; il existe une autre face, soigneusement cachée de cette abolition : celle concernant les dispositions en faveur des sujets les plus pauvres et démunis à savoir des « privilèges » visant à leurs donner des droits spécifiques facilitant leur triste vie, comme le droit de vaine pâture (qui consistait à pouvoir faire paître gratuitement les quelques animaux qu’ils possédaient sur des terrains appartenant à autrui après la récolte), le droit de glanage (récupération gratuite de ce qui était laissé à l’abandon au sol après la récolte sur des terrains appartenant à autrui) ou encore celui de ramasser gratuitement le bois mort tombé au sol pour se chauffer – là encore sur des terrains ne leurs appartenant pas… Tous « privilèges » violant le sacro-saint (pour la bourgeoisie) droit de propriété ! Droits spécifiques qui s’appuyaient sur le principe d’équité qu’abhorre la bourgeoisie…
Au passage, notons que la destruction systématique des protections même imparfaites dont bénéficiait le petit peuple fit toujours partie de l’agenda de la classe bourgeoise… On vit ainsi disparaître la proportionnalité des amendes au revenu des personnes (disposition courante du droit médiéval), les droits collectifs des professionnels et en particulier des manouvriers avec l’abolition des corporations et l’interdiction des groupements professionnels ou encore l’abolition des congés que l’Église imposait au patronat via les fêtes religieuses chômées, toujours au nom de la « liberté » (d’exploiter) et de l’« égalité » (opposée à l’équité) ainsi que du droit de propriété élevé au rang d’une divinité absolue.
Dès lors on comprend mal pourquoi des révolutionnaires se prétendant marxistes continuent aujourd’hui encore d’idéaliser (à l’encontre même de ce qu’écrivait Marx) une révolution bourgeoise qui permit certes d’ouvrir la porte à l’étape suivante du développement des forces productives dans la phase ascendante du capitalisme triomphant mais ne le fit qu’en augmentant le malheur du peuple travailleur.